L’insulte de Ziad Doueriri plonge le spectateur dans le Beyrouth d’après-guerre, où les tensions ethniques restent toujours palpables ; véritable film-procès où les blessures secrètes des deux camps, musulmans et chrétiens, seront peu à peu révélées.

À Beyrouth, de nos jours, il fait chaud. Un soleil de plomb tape sur le vieux quartier chrétien dont les habitants, meurtris par des années de guerre civile, tentent de retourner à une vie normale. Dans cet été caniculaire, la seule possibilité d’étancher sa soif et de se rafraîchir est l’eau, une ressource rare en période de sécheresse dans un pays du Proche-Orient. Venant à manquer sur terre, l’eau, ou « l’or bleu », sera sûrement au cœur d’une future et nouvelle bataille. Dans L’insulte, cette ressource naturelle est aussi le début d’une querelle puisant ses racines dans l’histoire tragique du Liban. Dix ans après West Beyrouth, Ziaid Doueiri parle toujours de l’éternel sujet qui hante son pays. Les plaies sont restées ouvertes et la tristesse est enterrée dans le silence et l’oubli. En ces jours de chaleur, l’eau n’a donc pas servi à rafraîchir le corps mais bien les esprits, ravivant les vieilles blessures du passé.

La structure du film est classique. Nous voyons deux personnages principaux : Toni, le garagiste libanais et membre du parti nationaliste chrétien et Yasser, le contremaître en bâtiment palestinien. Un jour, Toni arrose ses plantes sur son balcon mais l’eau tombe sur la tête de Yasser. Toni, le chrétien, savait-il qu’en dessous se trouvait Yasser, le musulman ? Le doute persiste et restera tout au long du film. Mais le mal est fait. C’est le début des hostilités où chacun cherche à se justifier et à exiger de l’autre des excuses. Toni et Yasser iront en justice. Ainsi l’histoire commence.

L’élément qui va déclencher le conflit, à savoir l’eau qui tombe sur Yasser, semble à première vue un peu faible, voire tiré par les cheveux. La tension provoquée sera encore plus problématique. Elle montera tellement vite qu’on finira par oublier que tout cela n’est qu’une histoire d’un arroseur et d’un arrosé, et prendra, au détriment des deux personnages, une ampleur telle qu’elle finira par devenir une affaire d’Etat. Le réalisateur va dégager l’histoire de ce conflit de voisinage pour créer un vrai procès entre les deux groupes. Il utilisera les images d’archives et même le procédé du flashback (chez Toni) pour éclairer le présent de nos deux protagonistes et faire confronter le pays avec ses démons.

Du début à la fin, nous voyons que le film est animé par l’idée d’une disproportion. On remarque cela à travers le conflit qui, comme on l’a vu, dégénère jusqu’au point où les deux protagonistes et leur famille sont dépassés par la situation. Il y a aussi l’exagération dans la plaidoirie qui tourne, avec audace, vers un procès quasi historique. Cette exagération, elles s’incarne aussi dans les acteurs. Le réalisateur oppose deux types de jeu : celui de Toni et de Yasser, tout en retenue et intériorisation des sentiments, à l’européenne, et celui des avocats et de politiciens, théâtral, maniéré, grandiloquent, à l’américaine.

Par contre, on peut penser qu’au-delà de ce processus de démesure le réalisateur cherche à conduire son spectateur vers une réflexion existentielle, sur la vie de ces gens oubliés par la guerre, contraints à rester dans le silence. Il parvient de cette manière à susciter cette empathie, nécessaire au rapport spectateur-acteur, pour les deux principaux personnages perdus dans cette vertigineuse affaire. Il donne un temps de pause utile pour revenir sur ses personnages. Ces courtes interruptions sont faites durant le procès lorsque la parole est donnée aux protagonistes pour se défendre devant la cour. Au lieu de faire de grands discours, ils préfèrent rester dans le silence et ne pas exposer devant tout le monde le douloureux souvenir. Par ce biais, ils prennent au dépourvu les avocats qui cherchent chacun à surjouer pour attirer l’émoi du public et surtout convaincre les juges. En refusant ce « jeu », Toni et Yasser montrent qu’ils sont les acteurs de leur propre histoire et que personne d’autre ne peut s’approprier ce drame.

Ziad Doueiri a su mettre en scène un film-procès assez original. Cette décision de se détourner de la petite histoire pour parler de la grande posera somme toute ses limites. Mais en se recentrant sur ses deux protagonistes, le réalisateur choisit de ne pas tomber dans une longue exposition des faits sans fin. Certes ces gouttes d’eau tombées sur la tête peuvent sembler abusives pour provoquer une guerre, mais la véritable force du film réside plutôt dans ces deux personnages qui arrivent subtilement à intérioriser toute la souffrance d’un pays et de son passé.

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L’insulte

de Ziad Doueriri
avec Adel Karam, Rita Hayek, Kamel El Basha
Liban-Belgique-France-Chypre-USA, 2018
112 minutes